
La politique du placard
D’abord, quelle définition donner à ce mot ?
Une recherche rapide dans le moteur de recherche sur internet donne :
« La placardisation consiste à mettre un salarié à l’écart de la vie de l’entreprise en lui retirant progressivement ses prérogatives, ses fonctions…Le contrat du travail du salarié n’est pas rompu, mais il ne lui est plus confié les tâches pour lesquelles il a été recruté. »
La cause de ce phénomène n’est autre que le nouveau visage de l’entreprise d’aujourd’hui qui hérite du nouveau visage du capitalisme.
Derrière des concepts comme, « la modernisation », « la collaboration », « les valeurs de l’entreprise », « rendre le salarié.e, maitre de sa carrière », « la stratégie managerielle » se cachent les instruments qui arrachent le consentement du salarié.e et une adhésion non négociable aux « valeurs de l’entreprise ».
Dans les années 1980 et 1990, des moyens colossaux ont été mis en place : groupes d’expression, séminaires autour de la définition de l’identité de l’entreprise, de sa culture et de ses missions à l’image « des communautés » d’aujourd’hui à Sopra Steria. L’un des objectifs était d’instaurer des échanges entre la hiérarchie et des groupes de salarié.e.s, afin que ces derniers intériorisent les « contraintes » de l’entreprise et ses intérêts. Cela s’est accompagné d’un recours systématique à la communication d’entreprise et aux formations sur mesure, pour faire passer dans les esprits les « valeurs de l’entreprise », et arracher le consentement. Sans oublier, pour compléter la panoplie, les sanctions : licenciements individuels précédés de harcèlement et « placardisation » pour donner l’exemple, faire peur aux autres afin qu’ils entrent dans le moule.
Le but recherché est de formater les salarié.e.s et inhiber en eux tout esprit critique.
L’individualisation se substitue à la solidarité et l’entraide, et la mise en concurrence entre les salarié.e.s est promue.
Les compétences sont mises en question en permanence et le salarié.e doit sans cesse faire ses preuves.
Les salarié.e.s se trouvent aujourd’hui fragilisés et atomisés ce qui permet à des stratégies individuelles de prendre le dessus.
La défiance qui jadis s’exerçait à l’égard de la hiérarchie, a été remplacée par une rivalité entre collègues aux dépends desquels on doit faire ses preuves et mériter ainsi ses promotions, ses primes ou tout simplement maintenir sa place dans l’entreprise.
Durant les trois à quatre décennies de l’après deuxième guerre mondiale, la classe ouvrière était forte et capable de mobiliser grâce à ses organisations syndicales puissantes et ainsi obtenir d’importantes concessions patronales.
Les luttes de la classe ouvrière ont permis une stabilité de l’emploi, une solidarité et une entraide à distance de l’emprise idéologique de l’entreprise et l’autorité unilatérale de l’employeur. La conquête la plus importante obtenue par les ouvriers est leur statut comme acteurs collectifs de leur destin.
Le monde du travail s’est métamorphosé dans le sens d’un individualisme accru et une un pouvoir plus accentué de la direction de l’entreprise. Les salarié.e.s n’ont plus de ressources pour s’opposer aux pratiques de cette dernière. Le salarié.e doit accepter de s’inscrire dans le moule de la pensée de l’entreprise à partir de ses modes standards de raisonnement, de sa philosophie et de sa culture au détriment de la socialisation.
Ce pouvoir renforcé des directions des entreprises est bien visible à Sopra Steria. La direction s’est lancée ces derniers mois dans un dégraissage brutal envers une catégorie des salarié.e.s ayant passé un certain âge. Des ruptures conventionnelles, des pièges tendus à certains salarié.e.s les contraignant d’accepter les RC sous la contrainte du licenciement. Plus grave, nous avons constaté une certaine connivence du médecin du travail de Sopra Steria et la direction pour se débarrasser des salarié.e.s les plus fragiles ou les plus anciens, en les mettant en inaptitude à tout poste, entrainant leur licenciement, ce qui est parfaitement scandaleux.
Les nouvelles règles supposent que chacun doit être à tout moment « au maximum de sa forme », ce qui exclut systématiquement une partie de la population, particulièrement les séniors.
Parmi ces règles, la politique de jeunisme à outrance promue par la direction. On cite comme exemple, le dernier kick off 2025 durant lequel le directeur général de de Sopra Steria a adressé un message fort à l’attention de tous les managers du groupe les incitant à faire passer la moyenne d’âge de 38 ans à 34 ans.
Cette politique de jeunisme associée à l’absence de politique de gestion des fins de carrière fait que les plus âgés sont poussés à la porte de sortie (Rupture conventionnelle ou autre) ou finissent dans le placard.
Ainsi le manque de solidarité entre les salarié.e.s fait que la socialisation par le travail devient ainsi une socialisation à la soumission, au conformisme et au renoncement à toute pensée personnelle ; les possibilités d’expérience collective à travers l’action et les projets communs alternatifs s’amenuisent. Il ne reste que les termes crus du contrat de travail, qui est un contrat juridique de subordination : le temps du salarié.e appartient à l’employeur qui l’a acheté et peut en faire l’usage le plus rentable de son point de vue .
Le jeune comme le senior se trouve donc isolé et seul face au patron qui peut décider de son sort à sa guise.